IncaDivide - Jour 4 : Entre anxiétés et espoir
Comme tous les jours, j’entame ma journée
avant le lever du soleil, vers 5h du matin. C’est une très bonne heure pour
attaquer une ascension car cela permet au corps de rester chaud malgré les
températures proches de zéro. Sauf qu’aujourd’hui, c’est une descente qui
m’attend immédiatement après mon départ et c’est nettement plus
rafraîchissant ! Environ 25 minutes plus tard, je peux enfin souffler,
j’attaque une nouvelle montée, celle qui me mène à Tauca. Une fois arrivé aux
abords de cette ville, je cherche un endroit où je pourrais prendre un petit
déjeuner, mais il est très tôt et rien n’est encore ouvert. Tant pis, je
mangerai plus tard ! Après tout, j’ai énormément de barres énergétiques,
gels et biscuits en tous genres. Ce n’est vraiment pas ce dont j’ai envie à ce
moment-là, mais ça a le mérite de me procurer l’énergie dont j’ai besoin. Maintenant
que j’ai du réseau, j’en profite également pour vérifier mon téléphone.
Quelques messages d’encouragements toujours les bienvenus, et surtout un livetracker
qui m’annonce que Frederico a pris son temps ce matin et qu’il est derrière
moi. Pour la première fois de la course, je pointe en quatrième position. Et je
commence à réaliser pourquoi je reçois de plus en plus de messages de félicitations
et d’encouragements. Pas le temps de traîner néanmoins, je reprends la route au
plus vite.
Une quinzaine de kilomètres plus loin, après
une descente et alors que je suis en pleine montée en direction de Llapo, je
suis rejoint par Frederico, qui a clairement mieux récupéré et dont le coup de
pédale est plus fluide que le mien. Mais il n’y a pas que la récupération qui
joue. En effet, Frederico est très affuté ! Il m’expliquera plus tard
qu’il s’entraîne énormément depuis environ cinq ans et que ses entraînements
n’ont rien d’une partie de plaisir, Frederico s’y appliquant avec une rigueur
quasi militaire. Et cela se ressent sur le vélo puisque je ne peux strictement
rien faire si ce n’est le voir partir petit à petit pour ne finir que par apercevoir
les traces de ses pneus sur la piste que nous empruntons. Mais je le sais, je
dois simplement continuer à mon rythme et ne surtout pas essayer de le chasser.
Après tout, si nous sommes au même endroit après trois jours et demi de course
alors qu’il semble plus fort, c’est qu’il y a bien une raison.
Vient ensuite une descente de près de 20 km
sur une piste de relativement bonne qualité, procurant une incroyable sensation
de vitesse. Nous venons de basculer dans une nouvelle vallée et le paysage est
tout simplement somptueux. A cet instant, je me sens privilégié de pouvoir
évoluer, sur un vélo, dans un tel décor. Alors j’en profite un maximum, je
retarde les freinages, je tends les lignes, je relance dans les sorties. Oui,
je me fatigue un peu, mais que c’est bon ! Et j’en profite pendant une
bonne heure avant d’arriver à Conamires, village au pied de l’ascension vers
Bambas et le col qui me mènera dans la vallée suivante. C’est la dernière difficulté
de la journée et je dois me ravitailler au plus vite. Le problème est que les
péruviens et moi n’avons pas la même notion de vitesse lors des ravitaillements
et je dois prendre mon mal en patience malgré que celle-ci ne soit pas ma
qualité première. Je me remets en route après quelques minutes et en profite pour
brancher mon GPS à ma batterie externe puisque celui-ci ne tient jamais une
journée entière. A priori cela ne pose aucun problème, sauf qu’à cet instant,
le GPS ne charge pas. Comment vais-je faire sans GPS si celui-ci ne charge
plus ? J’avais eu la mauvaise surprise ce matin de constater que ma lampe
avant n’avait pas chargé non plus cette nuit. Il semblerait que la charge de
mes différents appareils électroniques lors des sections gravel ait endommagé les câbles et les ports USB de ma batterie
externe. Cela peut paraître anodin, mais à ce moment de la course, je suis déjà
très entamé physiquement et cela devient difficile moralement. J’ai des doutes
quant à ma capacité à terminer la course dans les délais, je me mets une
certaine pression pour faire un bon résultat lors de ma première épreuve dans
cette discipline et je suis pris d’anxiétés tant je me sens petit dans
l’immensité de ces montagnes quasi désertes de vie humaine. Le moindre petit
pépin me tracasse donc énormément et ce problème de GPS ne fait pas exception,
mais je continue néanmoins ma route en direction de Bambas.
La montée est longue, se fait en plein soleil
et toujours pas d’asphalte en vue, ce qui continue de jouer avec mon moral car
la carte fournie par l’organisation ne mentionne, à aucun moment, autant de
kilomètres sur piste non asphaltée. Lorsque j’arrive à Bambas, je suis
accueilli par une dizaine d’ouvriers qui travaillent à l’entretien des routes.
Il n’est que 13h, mais ils ont l’air de fêter quelque chose. Après quelques
minutes, on me tend une assiette de poulet avec du riz et des patates. Il se
tient une petite fête juste à côté et les gens insistent pour que je me
ravitaille. J’accepte donc puisque j’ai faim et qu’un repas complet ne se
refuse absolument pas lors d’une telle course. Ils me disent qu’un autre
coureur vient également de manger son plat et qu’il est déjà reparti.
Frederico ! J’essaye donc de manger au plus vite, tout en réglant mes
problèmes électroniques. Je chipote un peu au câble avec mon couteau suisse, je
resserre la fiche en espérant que celle-ci tienne dans le GPS et, après
quelques tentatives, celui-ci est à nouveau sous tension. Me voilà soulagé !
Un peu de poulet et de riz englouti et je suis reparti. Les ouvriers m’ont
indiqué que la route était asphaltée à la sortie de Bambas et que cela durerait
jusque Carhuaz, lieu du second checkpoint. Voilà qui me remonte un peu le
moral, je commençais à avoir beaucoup de mal avec le gravel, tant mentalement que physiquement puisque des cloches
apparaissaient sur mes mains. En plus d’une route de meilleure qualité, je
savais qu’il ne me restait que 400 m de dénivelé positif à parcourir et que
cela me prendrait moins d’une heure pour atteindre le dernier sommet de la
journée, culminant à nouveau à près de 3500 m avant de plonger dans une
descente qui promet d’être assez longue.
Une minute après être reparti, je croise
Frederico, adossé à l’église du village, s’accordant un répit supplémentaire. Si
je suis plus lent que lui lorsque la route s’élève, lui s’arrête beaucoup plus
souvent et longtemps que moi. Nous avons chacun nos points forts et nos
faiblesses et nous allons devoir composer avec pour aller au bout de l’épreuve.
Car il se dégage une claire tendance à partir du quatrième jour, c’est que les
trois premiers ne semblent plus à notre portée, et que, derrière nous, ça ne
suit pas non plus. Evidemment, rien n’est dit après seulement quatre jours,
mais si nous continuons comme ça, nous devrions nous battre pour la
quatrième place.
Je pédale donc vers le dernier col et, à
nouveau, je suis dépassé par un Frederico bien plus puissant. Et c’est à peu
près une heure après Bambas que j’atteins le col. Pas vraiment le temps de
profiter de la vue puisqu’un fort vent froid me balaye et m’oblige à me couvrir
avant de redescendre sur Yupan et sa vallée. Et quel bonheur de descendre sur
la route. Là aussi, j’en profite pour me lâcher et tendre les lignes au
maximum, me disant que je reviendrai peut-être sur Frederico. Je le cherche
dans les lacets en contrebas, mais je ne le trouve pas. Peu importe, je continue
ma route en donnant le maximum. Sofiane nous avait prévenu par message qu’un
morceau de la route s’était effondré et que deux options s’offrent à
nous : prendre une route en gravel
légèrement en amont de la fin de la route détruite et qui rejoindrait la route
plus tard, ou longer la route théorique sur un petit sentier durant une dizaine
de minutes. Lorsque j’arrive à ce point précis, la question ne me traverse même
pas l’esprit et je m’enfonce dans le sentier à flanc de falaise. Cela me semble
si naturel, surtout après ma traversée des Alpes, réalisée le mois précédent,
lors de laquelle le portage était monnaie courante. Alors après une dizaine de
minutes à marcher avec le vélo à côté de moi, je rejoins la route asphaltée et
la descente reprend de plus belle. Les lacets ici n’ont rien à voir avec ce que
l’on peut trouver en Europe, ils ne font pas de simples épingles les unes après
les autres. Ici, on croirait que la route a été dessinée dans l’unique but de
procurer des sensations à celui qui l’emprunte. Des angles droits, des enfilades,
des épingles tantôt larges, tantôt serrées, suivis par des lignes droites
permettant d’atteindre des vitesse très élevées. J’ai l’impression de me revoir
sur les circuits et je nage en plein bonheur !
J’avais prévu de m’arrêter à La Pampa, à la
moitié de la descente, car le village suivant est situé 50 km plus loin. Certes
c’est de nouveau sur route asphaltée, mais je dois encore avoir mes réflexes de
calculer la vitesse sur les pistes gravel.
Après un rapide calcul tenant compte du dénivelé à venir, cela devrait me
prendre environ trois heures. Mais il est déjà 17h30 quand je suis à La Pampa.
C’est trop tôt pour s’arrêter, mais je ne sais pas si j’ai encore la force et e
courage de continuer jusque Huallanca et de faire ces 50 km supplémentaires. Je
me renseigne donc et il n’y a qu’un seul hôtel dans le village, ce qui me
simplifie grandement la tâche. J’entre donc dans l’établissement mais il n’y a
personne. Je frappe aux portes, je sonne, mais personne ne vient. J’en profite
pour voir où en est mon plus proche concurrent et m’aperçois qu’il est derrière
moi et qu’il ne devrait pas tarder avant d’arriver dans le village. Je continue
donc de me renseigner pour l’hôtel, je demande à plusieurs personnes qui me
suggèrent d’insister, mais personne ne se présente à moi. Et lorsque je vérifie
une seconde fois où en est Frederico, je m’aperçois qu’il vient de traverser le
village et qu’il continue son chemin. Je ne peux donc pas en rester là et
décide de remonter sur mon vélo. Je n’avais plus envie de rouler, je suis un
peu à bout, mais je ne vais tout de même pas le laisser filer. Puisque je
n’étais pas encore arrivé dans le bas de la vallée, il me reste un bon bout de
descente avant de remonter vers Huallanca. Il y a énormément de vent sur le
début de cette section et je dois, à plusieurs reprises, me battre avec mon
guidon pour garder mon vélo sur la bonne ligne. Et les camions arrivant en sens
inverse ne me facilitent pas la tâche. Pour couronner le tout, je commence à
être pris d’anxiété face à ces gigantesques montagnes totalement dépourvues de
végétation. Je ne sais pas ce qui m’arrive et je ne me sens pas bien, je n’ai
plus envie de rouler et la seule chose qui me maintienne encore motivé est l’idée
de voir cette quatrième place m’échapper. Ces crises d’anxiété m’ont pris
plusieurs fois aujourd’hui et l’idée d’abandonner m’a traversé l’esprit à
plusieurs reprises. La moindre occasion aurait été un bon prétexte et j’en suis
venu à m’imaginer entailler mes pneus à l’aide de mon couteau suisse, j’aurais
alors prétexté une crevaison due à une pierre coupante. Mais tout allait bien
physiquement et je n’avais en réalité aucune raison d’abandonner.
J’aperçois ensuite le fond de la vallée, mais
il me faut parcourir une multitude de lacets avant d’y parvenir. Et ceux-ci me
font descendre à pic jusqu’au pont traversant le Rio Santa, cours d’eau que je vais longer pendant un bon moment. Et
surprise, à la descente du pont, je suis attendu par Frederico qui immortalise
l’instant. Nous reprenons notre route et échangeons sur l’idée que nous venons
de prendre de continuer notre route au lieu de sagement nous arrêter à La
Pampa. Alors que la nuit tombe, nous roulons ainsi à deux jusqu’à Huallanca. Nous
ne sommes plus qu’à 1000 m d’altitude et le climat est tout autre puisque nous
sommes toujours en tenue courte (maillot et cuissard) alors que la nuit est
maintenant bien tombée. Que c’est agréable de pouvoir évoluer par une
température d’une vingtaine de degrés, et surtout, quel contraste avec les
jours précédents. Autre facteur important, la présence d’oxygène dans l’air qui
nous permet d’évoluer à des vitesses beaucoup plus rapides que lors des
passages à plus de 3000 m d’altitude.
Nous arrivons finalement un peu plus tôt que
prévu à Huallanca, gentiment poussés par un petit vent de dos dans la légère
montée nous y menant. Les hôtels ne manquent pas et nous trouvons rapidement deux
chambres. Nous partageons ensuite le repas, après une longue attente assez
inhabituelle pour une petite assiette de poisson frit prise dans la rue. Mais
cela nous permet de discuter de tout et de rien, de vélo, de boulot, des
raisons qui nous ont poussées à nous inscrire à une telle course alors que nous
pourrions être tranquillement chez nous. Et lorsque je lui demande ce qu’il
compte faire le lendemain, il me dit que c’est clair, il va monter jusqu’à Punta Olimpica s’il arrive à Carhuaz
avant midi. Cela fait plus de 120 km d’ascension et, personnellement, je me
vois mal faire ça alors que j’ai l’impression de déjà avoir atteint mes
limites, tant sur plan physique que mental. Je lui confie donc que je pense
aller jusque Carhuaz, me reposer là et faire l’ascension le jour d’après. Nous
nous quittons après le repas et allons tous les deux nous coucher directement. Ma
chambre donne sur la rue, nous sommes samedi soir et le village est en
effervescence, j’espère vraiment ne pas avoir trop de mal à m’endormir. Mais
après quatre jours de course, je tombe comme une pierre. Après tout, on a fait
à nouveau des kilomètres aujourd’hui, près de 180. Cela fait environ 860km
depuis le début départ donné quatre jours plus tôt, nous venons de franchir le
cap de la mi-course. Et au vu de mon plan, je décide de ne pas mettre de
réveil, je veux me reposer un maximum.
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