IncaDivide - Jour 8 : Derniers (longs) kilomètres jusqu’à Trujillo


Lorsque je me réveille, il est minuit et j’entends la roue libre du vélo de Frederico. J’avais appris à connaître ce bruit si particulier au fil des kilomètres que j’avais passé à ses côtés. Je crois l’entendre demander une chambre et ensuite prendre une douche. Toujours dans mon lit, je reçois alors un message d’Elo qui me dit qu’elle a vu sur le livetracker que Frederico venait de quitter le CP3. Je regarde à mon tour le livetracker et le vois au même endroit que moi. Mais elle insiste, il avance en direction de Trujillo. Je saute alors du lit et me prépare au plus vite. S’il est réellement en train de continuer sa route, va-t-il dormir plus loin ? Ou va-t-il tenter de rejoindre Trujillo sans dormir alors qu’il vient de faire plus de 15h sur un parcours extrêmement éprouvant depuis San Marcos ? Toujours est-il que s’il le tente, j’ai un petit avantage sur lui puisque j’ai dormi 1h30. Ce n’est pas grande chose, mais je me dis que ça pourrait bien jouer à un moment.

Je me lance alors dans une course poursuite, sans trop savoir quelle est l’avance de Frederico mais je me dis qu’avec mes qualités de descendeur, je pourrais revenir sur lui et nous pourrions peut-être assister à un final très serré entre nous deux.  Puisque j’ai choisi cet horaire, je suis à nouveau contraint de traverser le Cañon de Pato de nuit. Moi qui m’étais dit que j’aurais une seconde chance, c’est à nouveau raté. En entrant dans cette section, je me rends bien compte du danger car je pourrais, au moindre coup de vent, louper un virage et tomber en contrebas de la route puisqu’il n’y a pas de muret ou de rambarde. Je me dis alors qu’il vaut peut-être mieux être prudent et profiter de la descente, il reste tout de même plus de 250 km à parcourir avant Trujillo et tout peut encore arriver. Passé Hallanca, la pente se fait plus douce, le cañon plus dégagé, et un petit vent de face se met à souffler. Et cela va durer pendant près d’une centaine de kilomètres. Arrivant dans un petit village, je vérifie mon téléphone mais je n’ai toujours pas de réseau. Je continue ainsi ma route jusqu’à trouver du réseau et je vérifie alors le livetracker. Je constate que Frederico vient seulement de partir de Carhuaz et j’ai donc près de huit heures d’avance sur lui. Lorsqu’Elo a regardé le livetracker, celui-ci devait avoir un petit bug et Frederico n’avait en réalité jamais quitté le CP3. A moins d’un gros ennui mécanique, cette quatrième place devrait donc me revenir et les 180 kilomètres qu’il me reste à parcourir son comme un tour d’honneur, mais un très très grand tour d’honneur ! Je poursuis ma progression en direction de Chimbote, traversant des villages ne faisant absolument pas rêver. Ils ne sont pas forcément moins beaux que tous ceux que j’ai traversés dans les montagnes, mais le décor qu’ils offrent n’est absolument pas comparable avec les villages de la Sierra. Je traverse plusieurs villages avant d’arriver à proximité de Chimbote, marquant ainsi l’arrivée sur la route panaméricaine. A partir de cet instant, il me reste 120 km à effectuer en ligne droite sur une route fréquentée par une horde de camions.

Les premiers kilomètres de la route panaméricaine présentent une bande d’arrêt d’urgence en piteux état et il m’est préférable de rouleur sur la bande de droite de la route, ce qui  représente un danger de tous les instants. Constamment en train de guetter ce qui se passe derrière moi, je vérifie que les camions se déportent bien sur la bande de gauche. Si c’est le cas, je les remercie. Sinon, je me déporte sur la bande d’arrêt d’urgence en leur faisant part de mon mécontentement. Mais puisqu’il ne me reste plus de chambres à air, je ne veux pas prendre le risque de rouler sur cette bande qui est jonchée débris de verre et de morceaux métalliques en tous genres. J’y effectue donc quelques escapades lorsque c’est nécessaire et reviens aussitôt sur la bande de droite de la route. Mais je deviens de plus en plus nerveux et, alors que je manifeste mon mécontentement à l’un de ces camionneurs d’un geste assez puéril, je vois que celui-ci n’hésite pas à s’arrêter au beau milieu de la route. Je dois alors effectuer un écart sur la bande de gauche pour l’éviter et cela devient extrêmement dangereux ! Il descend de son camion et devient très menaçant, avant de reprendre la route pour se rabattre sur moi lorsqu’il arrive à ma hauteur. Il me faut m’arrêter et serrer contre la glissière pour éviter de me faire heurter. C’est décidé, j’essaye de me calmer et de prendre un peu sur moi.

Je pensais aussi que cette route serait totalement plate jusqu’à l’arrivée, mais ce n’est pas le cas puisque je dois, à plusieurs reprises, monter de 200 à 400m de dénivelé. Si les montées se font avec un léger vent dans le dos, les descentes ainsi que le plat se font systématiquement avec un fort vent de face. La progression vers Trujillo ne se fait donc pas aussi rapidement que je l’avais espéré puisque ma vitesse moyenne est légèrement inférieure à 25 km/h, bien en deçà de mes prévisions. La bonne nouvelle, à ce moment-là, est que la bande d’arrêt d’urgence est désormais praticable et que je ne dois plus me friter avec les camions. Les 70 derniers kilomètres se font donc lentement mais bien plus en sécurité.

Les deux dernières heures me paraissent interminables, mais j’essaye d’en profiter un maximum et je me dis que je dois être attendu sur la ligne d’arrivée. J’ai l’impression de pénétrer dans la ville de Trujillo tel un gladiateur alors que personne ne semble me prêter la moindre attention. Mais peu importe, car j’ai l’impression d’arriver au bout d’un exploit qui me semble unique et que j’avais, à plusieurs reprises durant la course, pensé impossible. Lorsque je quitte la route panaméricaine, il me reste un kilomètre et j’ai le cœur qui bat de plus en plus vite. Ca y est, je l’ai fait ! Même si je crève un pneu maintenant, je peux finir en marchant et plus personne ne me privera de cette quatrième place. Je tourne à gauche puis à droit, il me reste une centaine de mètres. Jacques, un concurrent français, est présent dans le dernier virage à droite et me félicite, nous nous serrons la main. J’aperçois enfin l’hôtel et une dizaine de gens m’attendent et commencent à crier. Plus que quelques mètres et je pose enfin le pied à terre. Ca y est, non seulement j’ai terminé cette course de fous qui est probablement l’une des plus difficile au monde, mais en plus je la termine à la quatrième place, derrière des monstres de la discipline comme Sofiane et Rodney, et c’est pour moi comme une victoire ! 






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